Le neuroleadership démystifié
L’avènement de la notion du neuroleadership a engendré un bon nombre de sceptiques parmi les professionnels en ressources humaines et dans le monde des affaires.
Après avoir approfondi la question, on peut affirmer que la science du neuroleadership permet de saisir concrètement les facteurs déterminants qui créent des milieux mobilisateurs et collaboratifs, tout en évitant la démotivation et le désengagement qui mènent souvent à la perte de talents dans une organisation.
Basé sur de nombreuses recherches scientifiques dont la crédibilité est incontestée, leneuroleadership permet de comprendre plusieurs dimensions du cerveau. Nous comprenons aujourd’hui que les deux réponses fondamentales que le cerveau émet, soit le renforcement et l’évitement, s’appliquent non seulement en situation de survie, mais aussi, plus subtilement, lors d’interaction entre les personnes. L’évitement consiste à fuir ce qui peut constituer une menace (réelle ou perçue) pour l’humain, alors que le renforcement consiste à maximiser les récompenses. Que ce soit dans les relations de couples, dans les relations familiales ou dans le monde du travail, les mêmes réactions plus ou moins primaires seraient à l’origine des comportements de chaque personne, la menant soit à être en mode défensif (ou fuite), soit s’ouvrir à la collaboration et au rapprochement.
L’engagement provoque une activité accrue au niveau des circuits neurologiques du cerveau, qui sécrètent à leur tour l’hormone de la dopamine du cortex préfrontal. De ce fait, la capacité émotionnelle et cognitive et même la mémoire en sont améliorées.
Quant au désengagement, il provoque une stimulation des circuits défensifs en réaction à un signal de menace. L’individu ressent alors de l’anxiété. Son énergie est concentrée sur les impératifs de défense et de survie. Il a de ce fait, beaucoup moins de ressources disponibles pour se concentrer. Souvent, il se méfie des autres et a tendance à prendre moins de risques.
Selon le modèle du SCARF élaboré par David Rock, cinq facteurs ou besoins fondamentaux seraient les modulateurs de ces deux types de réponses neurologiques. Lorsqu’on arrive à combler ces besoins, on assiste à un haut niveau de confiance et de collaboration. À l’inverse, lorsqu’on les menace, apparaît le mode défensif, celui de survie et d’évitement.
Status | Le besoin d’avoir un statut ou de préserver son rang par rapport aux autres : le supérieur, les collègues, les employés et l’image dans la société (contacts, rayonnement). Le statut amènerait à des comportements qui se rapprochent de ceux qu’on observe dans une meute par exemple. |
Certainty | Le besoin de certitude ou de sécurité, qui permet de prédire l’avenir et de s’adapter. |
Autonomy | Le besoin d’autonomie, soit le pouvoir d’exercer un contrôle sur son environnement et d’avoir des choix. |
Relatedness | Le besoin d’appartenance à un groupe et de pouvoir compter sur son soutien (relations formelles et informelles). |
Fairness | Le besoin d’équité et de justice, le sentiment d’échanges équitables avec les gens. |
En intervenant habilement sur ces facteurs, on pourrait engager les ressources humaines en leur permettant de concentrer toute leur énergie sur la résolution de problèmes de façon collaborative et créative. Par contre, si ces facteurs sont traités avec maladresse, la méfiance et l’évitement pourraient s’installer, entraînant des probabilités accrues de roulement de personnel (évitement) et de contre-performance.
Le véritable défi des gestionnaires et des organisations serait donc :
- de reconnaître la complexité et la diversité des membres de leur personnel et l’importance d’ajuster leurs interventions individuelles et de groupe en tenant compte des impacts sur le SCARF;
- d’investir l’énergie nécessaire afin de bien connaître leurs employés et de pouvoir identifier les éléments du SCARF qui sont les plus susceptibles de les mettre en mode défensif (fuite) par rapport à ceux qui susciteront leur collaboration et leur capacité à prendre des risques et à mettre toute leur intelligence au service de leur équipe et de leur organisation;
- de revoir leurs stratégies individuelles et organisationnelles en prenant le SCARF en compte …
De telles découvertes devraient aussi inciter les gestionnaires et les directions des ressources humaines à repenser leurs processus RH.
Quelques interrogations pertinentes :
- Gestion de la performance: a-t-on raison d’avoir une approche plus encadrante lorsque la performance n’est pas au rendez-vous?
- Style de gestion : le modèle situationnel a-t-il encore sa place?
- Clarté des objectifs et des mandats : quel est le bon degré de clarté et de précision pour chaque individu? Le même niveau de détail pourrait être insuffisant pour l’individu qui a un grand besoin de certitude et vit mal avec l’ambiguïté, mais pourrait brimer le besoin d’autonomie d’un autre membre de l’équipe.
- La gestion du changement : plutôt que de considérer les résistances des employés comme un mal nécessaire à contourner, le fait de les écouter et de tenir compte de leurs préoccupations pourrait les amener à passer d’un mode d’évitement à un mode de collaboration et de renforcement.
Le neuroleadership peut aider à réajuster certaines approches d’accompagnement, de gestion du changement, de gestion de carrière et de coaching. La tendance de certains gestionnaires et de certaines organisations à se concentrer uniquement sur la performance et les résultats est donc à remettre en question. Dans les stratégies de gestion des talents et de changement organisationnel, il est temps que les organisations voient l’importance tout aussi essentielle pour leur survie de prendre le temps de sonder le degré d’engagement et de mobilisation de leurs employés ou d’écouter leurs préoccupations et leurs « résistances ».
Le neuroleadership procure des outils puissants, basés sur une science rigoureuse. Pour un leader, mettre en place des actions « payantes » en termes de résultats et d’engagement est une préoccupation constante. Mieux connaître le fonctionnement du cerveau permet justement de faire changer les comportements plus rapidement. Si les tendances en ressources humaines évoluent au fil des ans, le fonctionnement du cerveau est certainement une constante qui nous permet de croire que le neuroleadership est loin d’être une mode passagère.
À propos des auteures
Jacqueline Codsi, CRIA est directrice principale, psychologie du travail et développement organisationnel chez Optimum Talent et chargée de cours à l’ÉNAP. Elle a travaillé à titre tant de gestionnaire en ressources humaines et développement organisationnel que de consultante stratégique et coach dans des organisations de secteurs diversifiés. Elle s’est spécialisée ces dernières années en développement organisationnel, en développement du leadership et de la relève ainsi qu’en gestion du changement. On peut la joindre par téléphone [514-235-0557] ou par courriel [jcodsi@Optimumtalent.com].
Nathalie Langis, CRHA est vice-présidente et chef de pratique, gestion de carrière chez Optimum Talent. Elle compte près de quinze ans d’expérience en développement organisationnel et en gestion des ressources humaines, et a accompagné des organisations de taille et de secteurs variés, notamment dans des démarches de mobilisation des employés. Elle est également coach bénévole pour la Fondation du maire : le Montréal inc. de demain. On peut la joindre par téléphone [514-687-2262] ou par courriel [nlangis@Optimumtalent.com].
Cet article est paru dans la rubrique Coin de l’expert le 7 mai 2013.