Le dilemme du développement des leaders : maximiser les forces ou combler les faiblesses?

Par Jacqueline Codsi, M.Ps.org., CRIA,
Centre de recherche et d’intervention en santé des organisations.

L’impact des bons leaders est énorme. On le mesure en termes d’attraction de personnel talentueux, de rétention et de performance générale améliorée. Les ravages créés par des gestionnaires pas assez qualifiés ne sont plus à démontrer : climat de travail tendu, départ d’employés talentueux, manque de mobilisation, contre-performance, etc. Le leadership fait appel à un cocktail complexe de compétences analytiques, relationnelles et stratégiques. Le développement des leaders est donc un défi de taille pour les entreprises.

Mais qu’est-ce qui doit être développé? Est-ce le difficile passage de professionnel à gestionnaire? Ou celui de gestionnaire opérationnel à gestionnaire stratégique? Les compétences relationnelles? L’influence? La capacité à donner des mandats clairs? Une approche moins directive? 

Ce diagnostic est essentiel. Des études du Corporate Leadership Council ont en effet prouvé que l’identification de mauvaises cibles de développement est parfois très nuisible, car le leader en développement concentre alors son énergie sur des éléments qui ne sont pas prioritaires et perd ainsi un temps précieux. La question est donc centrale : que devrait-on identifier pour aligner les efforts en termes de développement?  

L’approche des compétences à développer

Traditionnellement, le diagnostic consiste à mesurer le leader en regard du profil de compétences des gestionnaires qui réussissent dans leur rôle. Donc, à l’aide d’outils diagnostiques (autoévaluation, évaluation psychométrique du potentiel de gestion, rétroaction à 360 °, évaluation de la performance), on identifie les compétences jugées moins maîtrisées qui deviennent les cibles prioritaires de développement. Il peut donc arriver, dans une telle optique, qu’un leader en vienne à cibler des compétences pour lesquelles il ne possède pas de talent naturel, ce qui pourrait le condamner à un succès mitigé. 

Un plan de développement pour maximiser les talents

Depuis quelques années, un nouveau courant mise plutôt sur les forces des leaders. Selon ce courant, chaque individu possède des talents naturels qu’il ne faut pas nier si l’on veut expérimenter l’efficacité et la satisfaction qui découlent du sentiment d’être en harmonie avec son travail.

Des modèles comme le dépisteur de forces (strenghtsfinder) de Buckingham et Clinton ou celui des forces signatures (questionnaire VIA) sont utilisés abondamment par des entreprises québécoises et internationales.

Les partisans de ce courant affirment que travailler sur ses faiblesses est une approche négative qui met les personnes sur la défensive et nuit à leur développement. L’approche positive forcerait plutôt les individus à reconnaître leurs talents et, ce faisant, à être aussi plus lucides quant à leurs faiblesses.  

La solution gagnante : miser sur les talents tout en développant les zones vulnérables

Il serait bon d’utiliser systématiquement deux approches extrêmement complémentaires.

On ne peut mettre de côté le profil de compétences

Prenons l’exemple d’un cadre supérieur très orienté vers les résultats et qui manquerait profondément de vision stratégique et de sens politique. Peut-on réellement avoir du succès dans un tel rôle en mettant de côté ces deux compétences essentielles? De fait, certaines compétences sont nécessaires au succès; le plan de développement doit en tenir compte. La question est de savoir si ce gestionnaire possède un certain potentiel naturel à cet égard. 

Miser sur la compatibilité entre les talents et les postes occupés

L’utilisation des forces ou des talents est habituellement génératrice de bonne performance et de bonheur au travail.  Selon Cardinal (2004), la perception de succès lié à la carrière serait liée à la compatibilité entre ses talents, ses compétences, ses valeurs, la perception du degré de reconnaissance reçue et de son niveau de satisfaction face à sa contribution. Le sentiment d’être compétent et d’être en harmonie avec son rôle pourrait avoir des impacts sur l’engagement et la mobilisation. 

Attention à la surutilisation des forces

L’utilisation abusive de certaines forces peut parfois devenir contre-productive. Ainsi, il est très utile d’être stratégique, mais l’être trop systématiquement peut mener à ne pas être assez orienté vers les résultats concrets. De même, l’excès de courage managérial peut conduire à livrer des batailles inutiles en créant une culture de compétition.  

Considérer aussi le potentiel de développement

Utilisée de manière trop restrictive ou pointue, l’approche des forces pourrait inciter à éviter de sélectionner et de développer des gestionnaires qui ne maîtrisent pas certaines compétences, mais qui les exerceraient avec aisance si on leur donnait l’occasion de les pratiquer. Par contre, il est possible qu’il y ait chez un individu un manque profond de talent naturel pour une compétence et que l’on doive alors remettre en question l’objectif de développement et même le poste visé. 

Pour qu’un plan de développement permette au leader de se développer efficacement

Voici quelques bonnes pratiques basées sur la complémentarité des  deux approches…

  • Cerner dès le début le contexte du développement en identifiant précisément le profil de compétences des gestionnaires qui ont du succès.
  • Procéder à un bilan complet des forces et des vulnérabilités du leader.
  • Développer la lucidité du leader afin qu’il soit conscient des rôles compatibles avec son profil. Le sensibiliser à l’impact unique de ses forces naturelles et aux effets néfastes de leur utilisation abusive.
  • S’interroger sur le potentiel du leader à  développer ses zones vulnérables. Ne pas hésiter à réviser l’objectif visé en fonction de ses talents naturels.
  • Inciter le leader à choisir des rôles et des fonctions compatibles avec ses forces et son potentiel.
  • Élaborer un plan de développement réaliste qui vise à maximiser les forces tout en développant les compétences qui nuisent à l’efficacité du leader.

Conclusion

Rappelons que la reconnaissance des forces est une pratique gagnante pas uniquement dans le cadre des processus de développement du leadership, mais aussi en matière de gestion de la performance et de mobilité interne. Une telle approche peut contribuer à l’engagement des leaders envers leur développement et leur organisation, ce qui constitue indéniablement un avantage compétitif en ces temps de pénurie de relève.

 

Pour aller plus loin : quelques suggestions de lectures

  • Buckingham, M. et D.O. Clifton (2001). Now, discover your strengths, The free Press.
  • Cardinal, L. (2004). « Nouvelles carrières et succès psychologique au travail », Cahier de recherche de l’ESG 15-2004, 23 p.
  • Codsi, J. (2004), CRDGC. L’approche par compétences pour le personnel d’encadrement, un cadre de référence. Une publication du Centre de référence des directeurs généraux et des cadres.
  • Guérin, G. et T. Wils (1992). « La carrière, point de rencontre des besoins individuels et organisationnels », Revue de gestion des ressources humaines, Canada, vol. 5, no 6, décembre, p. 13-30, ISSN 1196-703X.
  • Schein, E. H. (1996). « Career anchors revisited: Implications for career development in the 21st century », The Academy of Management Executive, États-Unis, vol. 10, no 4, p. 80-88, ISSN 1079-5545.

 Note: cet article a aussi été publié sur le site de l’Ordre des CRHA